mardi 27 février 2018

La crise des canonisations
Partie 1


Est-ce que le pouvoir destructeur Bergoglien pourrait porter atteinte
à l'infaillibilité des canonisations en élevant Paul VI aux autels ?




SOURCE : The Remnant
Le 24 février 2018







Introduction : Un débat qui brûle lentement et se rallume perpétuellement

Les canonisations de Jean-Paul II et de Jean XXIII par le Pape Bergoglio ont naturellement contribué à susciter de plus en plus d'inquiétudes parmi les fidèles quant à la fiabilité de la « Fabrique des Saints » mise en place sous le règne de Jean-Paul II. Jean-Paul II a canonisé plus de Saints, y compris de grandes canonisations en lots, que les dix-sept Papes précédents combinés, remontant à 1588, quand Sixte V a fondé la Congrégation pour les Causes des Saints. Alors que Benoît XVI a fait des efforts pour ralentir la production, Bergoglio l’a remontée en cinq ans, à 885 Saints, dont 800 martyrs Italiens, contre 483 Saints pendant les 27 années de règne de Jean-Paul II. Cinq de ces ajouts Bergogliens ont été déclarés Saints sans même qu'un miracle vérifié leur soit attribué.

Ce ne sont pas seulement les commentateurs Traditionalistes qui observent que le simple nombre de Saints récemment proclamés menace une dévaluation radicale du concept même de la Sainteté. Même le Cardinal Ratzinger l'a suggéré dès 1989. Mais maintenant la canonisation apparemment imminente de Paul VI, après l'approbation de deux prétendus miracles qui, sur la base des informations publiées, semblent décidément moins que miraculeuses ( à discuter dans la partie II de cette série ), a provoqué une incroyable incrédulité, allant même au-delà du scepticisme qui a accueilli les canonisations de Jean XXIII et de Jean-Paul II. Comment le même Pape [ Paul VI ] qui a déchaîné ce dont il se lamentait lui-même — trop peu, trop tard — comme un « esprit d’auto-démolition » dans l'Église, y compris une « réforme liturgique » qui a conduit à ce que le Cardinal Ratzinger a appelé « l'effondrement de la liturgie » Le même Pape qui se demandait comment « la fumée de Satan » [1] était entrée dans l'Église pendant son règne tumultueux, puisse être élevé aux autels comme un modèle de vertu Catholique pour sa vénération et son imitation par tous les fidèles ?

Pour citer le Washington Post :



« Mais pour le meilleur ou pour le pire, la tendance de François à contourner les canaux normaux de certification des miracles génère des frictions à l'intérieur des anciens murs du Vatican alors même qu'il ravive un débat séculaire sur la nature des Saints Catholiques ». [2] Ce débat séculaire porte sur deux questions auxquelles le Magistère doit encore répondre définitivement : premièrement, l'infaillibilité des canonisations papales de fide [ de Foi ] ou simplement une opinion probable ? Deuxièmement, si les canonisations de fide sont infaillibles, dans quelles conditions le sont-elles, compte tenu des conditions strictes d'infaillibilité papale fixées par le Premier Concile du Vatican concernant les définitions dogmatiques par opposition aux actes de canonisation concernant des personnes particulières dans des circonstances historiques spécifiques ?

Les deux questions peuvent être résumées comme en une seule : sommes-nous obligés de croire que quelqu'un est un Saint simplement et uniquement parce que le Pape l'a déclaré par la récitation de la formule de canonisation, ou le Pape doit-il se baser sur l'enquête préalable des faits vérifiables, tout comme les définitions dogmatiques doivent être fondées sur la vérification de l'enseignement constant de l'Église qui précède leur promulgation ?

Sur quoi est basé l’affirmation d’une canonisation infaillible ?

Il semble clair que la définition du Dogme de l'infaillibilité papale du Concile Vatican I concernant les définitions dogmatiques ne peut pas être étendue pour couvrir les canonisations. Les définitions dogmatiques du Magistère Extraordinaire placent au-delà de toute dispute possible et établissent ainsi comme un article de Foi seulement ce qui était déjà un enseignement constant de l'Église et non une Doctrine nouvellement énoncée par un Pape donné. Mais les canonisations, par leur nature même, annoncent quelque chose de nouveau en respectant un devoir de vénération universelle pour une personne en particulier. Pour citer Jean-Paul II lui-même à cet égard :



« Le Siège apostolique, en vertu de la lourde mission qui lui est confiée d’enseigner, de sanctifier et de gouverner le Peuple de Dieu, a, depuis des temps immémoriaux, proposé à l’imitation, à la vénération et à la prière des fidèles, des hommes et des femmes qui se sont distingués par l’éclat de leur charité et des autres vertus évangéliques ; et, après avoir conduit les enquêtes nécessaires, a déclaré, en les canonisant, qu’ils étaient saints ou saintes ».

Ainsi, Jean-Paul lui-même insiste comme condition à la canonisation une enquête préalable, même si c'est lui qui, en 1983, a publié la Constitution apostolique Divinus Perfectionis Magister, qui a largement démantelé le mécanisme d'enquête séculaire de la canonisation. Le résultat fut un processus « simplifié » qui (a) retourne à l'Évêque local l'essentiel de l'enquête sur le candidat, y compris les miracles revendiqués, sans l'autorisation préalable de Rome ; (b) élimine le rôle antagoniste fixé du Promoteur de la Foi, communément appelé « l'avocat du diable » ; (c) réduit l'exigence pérenne de miracles de quatre ( deux pour la béatification et deux autres pour la canonisation ) à deux ( un pour la béatification et un pour la canonisation ) ; et (d) convertit l'ensemble du processus du procès canonique traditionnel et assez rigoureux sur les mérites du candidat en un examen de type « revue de comité » et une discussion pratiquement dépourvue de caractère accusatoire. [3]

Dans tous les cas, la canonisation doit être précédée d'une certaine forme d'enquête fiable sur les faits historiques contingents. Cette enquête se fait soit par le processus « ordinaire », impliquant la vérification systématique des miracles et des vertus, soit par le processus « extraordinaire » de confirmation de l'existence d'un culte légitime de longue date entourant une personne et une « réputation ininterrompue pour des merveilles » [ la soi-disant canonisation dite « équivalente » ) même si le processus ordinaire plus exigeant n'est pas appliqué. S'il en était autrement, nous aurions à croire l'absurdité que quelqu'un soit vénéré comme un Saint sans aucune enquête préalable, simplement parce que le Pape le dit au moyen d'une formule récitée.

Donald S. Prudlo, un académicien très réputé sur l'histoire des canonisations, est clairement contrarié par la hâte et la qualité décroissante des enquêtes de pré-canonisation depuis le début de la « Fabrique des Saints ». Il écrit :

« En tant qu'historien de la Sainteté, ma plus grande hésitation avec le processus actuel provient des canonisations faites par Jean-Paul II lui-même. Alors que son intention louable était de fournir des modèles de Sainteté tirés de toutes les cultures et de tous les états de la vie, il avait tendance à séparer la canonisation de son but originel et fondamental. Ça devait avoir une reconnaissance officielle, publique et officielle d'un culte existant des fidèles Chrétiens, qui avait été confirmé par le témoignage divin de miracles. Le culte précède la canonisation ; ce n'était pas censé être l'inverse. Nous sommes alors en danger d'utiliser la canonisation comme un outil pour promouvoir des intérêts et des mouvements plutôt que d'être une reconnaissance et l'approbation d'un cultus extant [ culte toujours existant ] ». [4]

Exactement. Mais, confronté à des abus patents du processus de canonisation depuis 1983, le réduisant à un « prix halo » pour les personnes ou les mouvements favorisés — une tendance qui s'est accélérée pendant ce pontificat — Prudlo opte pour l'idée que le processus est en essence superflu à l'infaillibilité des canonisations. En répondant aux préoccupations de Roberto de Mattei sur le Pape Bergoglio, sur les canonisations de Jean-Paul II et de Jean XXIII, il conclut :



« C'est l’acte de canonisation qui est l'acte infaillible du Pape puisque, comme le soutient Thomas d’Aquin, ce n'est pas une simple décision disciplinaire, mais la quasi-profession de Foi dans la gloire d'un Saint. Ce n'est pas l'enquête, mais l'inspiration du Saint-Esprit qui certifie cette réalité pour nous ( Quod 9, q 16, ad 1 ). Les Papes ne sont pas infaillibles à cause de la qualité des enquêtes qui précèdent la promulgation, ils sont infaillibles précisément à cause de l'acte qu'ils accomplissent dans le cadre liturgique de la canonisation ».

Mais si l'enquête n'a aucun rôle dans la « certification de cette réalité pour nous », quel est le but de l'enquête ? Si le culte d'un candidat à la sainteté doit être confirmé, comme le dit Prudlo, par « le témoignage divin des miracles », ne doit-il pas avoir une enquête fiable sur les miracles attribués au candidat, se terminant par la certitude qu'ils sont en fait des miracles ? En fait, il a été rapporté que durant le ralentissement de la « Fabrique des Saints » du temps de Benoît XVI, il « lisait page par page le dossier, selon l'Archevêque [ Michele di Ruberto, secrétaire de la Congrégation pour les Causes des Saints ], et jusqu'à ce qu'il soit personnellement satisfait des miracles accrédités à un candidat, aucun progrès n'était possible ».

Tout simplement, si la qualité de l'enquête n'a aucune incidence sur la véracité d'une canonisation, pourquoi perdre du temps avec une enquête ? Un Pape pourrait simplement implorer l'inspiration du Saint-Esprit et procéder infailliblement même lorsqu'une enquête est clairement imparfaite ou complètement absente. Mais cela ressemble plus à l'œuvre d'un Oracle Gnostique de Rome qu'à un Pontife Romain agissant selon la Foi et la Raison.

La définition infaillible du Dogme comparé

L'idée que l'inspiration du Saint-Esprit est la véritable garantie de la canonisation n'est certainement pas cohérente avec la façon dont les Papes ont défini les Dogmes de la Foi. Bien sûr, le Saint-Esprit guide l'Église en matière de Dogme, mais cette orientation a lieu au fil du temps en préservant et en énonçant la Révélation du Christ et des Apôtres transmis de siècle en siècle, non par des inspirations ponctuelles ad hoc. Ainsi, par exemple, en définissant le Dogme de l'Immaculée Conception, le Bienheureux Pie IX invoquait certainement le Saint-Esprit, mais il était aussi absolument certain que « les Paroles Divines, la vénérable Tradition, le sentiment constant de l'Eglise » soutenaient la promulgation. [5] Son enquête a inclus les résultats d'une commission spéciale, une consultation avec les Évêques du monde qui « Nous demandaient, comme d'un vœu unanime, de définir par Notre jugement et autorité suprême l'Immaculée Conception de la Vierge » et un Consistoire du Collège des Cardinaux appelé pour aborder le sujet. Pie IX aurait probablement ri de l'idée que seule l'inspiration du Saint-Esprit ( à laquelle il se référait au moment de la promulgation ) et la récitation de la formule traditionnelle assuraient l'infaillibilité de sa promulgation, pas aussi le contenu objectif et vérifiable de la Foi comme confirmée par une enquête préalable exhaustive. Si un tel soin d'enquête est nécessaire pour définir comme un Dogme ce que l'Église a toujours cru de toute façon, alors comment une enquête adéquate sur la prétendue Sainteté et les miracles d'une personne, qui peut être chaudement contestée, n'est pas cruciale pour la décision du Pape de l’élever aux autels ?

La « Solution » de Saint Thomas d’Aquin »

Dans son étude magistrale sur ce sujet, Prudlo cite la solution proposée par Saint Thomas d’Aquin : que le Saint-Esprit assure la fiabilité des canonisations malgré le potentiel d'erreur humaine ou même la mensonge pur et simple de la part des enquêteurs et des témoins. Mais Thomas d’Aquin soutient seulement que « nous devons croire pieusement » que le Pape ne peut pas commettre une erreur de canonisation et que « la Divine Providence préserve l'Église assurément dans des choses qui peuvent être trompées par un témoignage humain faillible ». [6] Il ne discute pas ni qu’il affirme que l'Église n'ait jamais enseigné, que cette croyance pieuse est un article de Foi à ne pas être remis en question ou douté dans quelque circonstance que ce soit.

En outre, Prudlo lui-même explique qu'il y a trois raisons pour lesquelles Thomas d’Aquin conclut que le Pape est incapable de se tromper dans les canonisations : « (1) il fait une enquête approfondie sur la sainteté de vie ; (2) ceci est confirmé par le témoignage des miracles et (3) le Saint-Esprit le conduit ( pour Thomas d’Aquin, c’est l’argument massu ) ». [7] Mais si la direction du Saint-Esprit est « l'argument massu », il doit y avoir quelque chose auquel s’accrocher en premier lieu. Et cela ne peut être le cas que pour une canonisation basée sur la sainteté de vie vérifiée et les miracles suite à une enquête sur les deux. En l'absence de cette enquête sur la sainteté et les miracles, la seule confiance dans l'inspiration du Saint-Esprit semblerait être la plus grossière des présomptions, du moins dans le cas ordinaire. En effet, la même présomption justifierait l'énonciation de nouvelles Doctrines non montrées par l'enquête comme étant « le sentiment constant de l'Église », pour rappeler les paroles du Bienheureux Pie IX.

Dans tous les cas, Saint Thomas d’Aquin n'est pas infaillible même s'il confère une autorité de poids à l'opinion majoritaire des théologiens, au moins depuis le XV e siècle, que les canonisations papales sont infaillibles. En effet, il n'est pas facile de voir comment une canonisation formelle du Pape pourrait être sujette à erreur, car cela saperait l'ensemble du Canon des Saints élevés aux autels par un acte pontifical et ça exposerait l'Église à l'accusation qu'elle a imposé l'erreur dans sa discipline universelle et qu’elle favorise l'opinion des hérétiques que l'Église exige l'idolâtrie vaniteuse et blasphématoire des pécheurs.

Y a-t-il de la place pour le doute ?

Néanmoins, l'infaillibilité des canonisations papales n'a jamais été définie comme un Dogme, et on ne peut pas non plus la trouver clairement énoncée comme une Doctrine explicite du Magistère ordinaire universel. Par exemple, comme le note le Professeur de Mattei dans l'article cité plus haut, il n'y a aucune mention de l'infaillibilité des canonisations, ni même une discussion de l'opinion théologique dominante, dans le Code de Droit Canonique de 1917, le Code de Droit Canonique de 1983 et le Catéchisme de Jean-Paul II.

Dans un essai sur le sujet publié en 1848, le Père Fredrick William Faber, célèbre converti Anglican renommé pour son érudition, « ayant une loyauté indéfectible envers le Saint-Siège » et une dévotion mariale, auteur du livre faisant autorité intitulé « La Vies des Saints Modernes », défendit l’opinion théologique probable en faveur de l'infaillibilité et a argumenté pour la témérité et l'impiété d'attribuer l'erreur aux canonisations papales. Mais il s'efforçait aussi avec peine d’atténuer sa discussion de réserves en raison des opinions minoritaires de poids contre l'opinion probable :



« Est-il vrai que l'Église est infaillible dans le décret de canonisation ? C'est une question ouverte dans les écoles Catholiques... »

« Saint Thomas d’Aquin place le jugement de l'Église sur la canonisation comme quelque chose entre un jugement en matière de Foi et un jugement sur des faits particuliers, et il s'ensuit donc que l'infaillibilité du décret est une croyance pieuse, mais rien de plus, dans la mesure où ne concerne que la Foi réductrice... »

« C'est de fide que l'Église est infaillible dans la Doctrine commune de la morale ; mais il n'est pas si certain que la canonisation des Saints se rapporte à la Doctrine commune de la morale. L'Église n'a jamais défini son infaillibilité dans cette affaire pour être de fide, et nous ne pouvons pas non plus la recueillir dans sa pratique... »

« Il semble alors probable que c'est de fide, que le jugement de l'Église en canonisation est infaillible ; mais au-delà de cette affirmation d'une forte probabilité, il ne faut pas s'aventurer, surtout voir de si grands noms pour une opinion négative».

« Il est plus sûr de conclure avec le sage et savant Lambertini, que chaque opinion devrait être laissée dans sa propre probabilité, jusqu'à ce qu'un jugement émane du Saint-Siège ; car lorsque nous traitons de l'établissement d'un Dogme de la Foi, dit le même théologien prudent dans un autre lieu, nous devons attendre le jugement du Siège Apostolique, la mère et la maîtresse des autres Églises, et du Souverain Pontife, à qui appartient exclusivement à faire des promulgations de Foi, avant de nous risquer identifier d’une note infâme d'hérésie ceux qui suivent une opinion contraire ». [8]

De même, dans sa propre étude sur l'évolution du processus de canonisation papale et la vision corrélative de l'infaillibilité des canonisations papales, Prudlo conclut : « Les revendications d'infaillibilité n'apparaissent que relativement tard au Moyen-Âge, généralement après la période de l’acquisition de l'hégémonie papale sur de tels cas ». [9] Mais, note-t-il, « l'offre apparemment inépuisable de candidats tant honorés par Jean-Paul II et la rapidité d'avancement prôné par le Pape François pour certains personnages récents ont également stimulé les arguments actuels ». C’est dire pour le moins ! Et c'est précisément le point : Les arguments actuels sont permis en accord avec les « origines du débat théologique et historique » que Prudlo trace au Moyen-Âge. Ces arguments continueront sans aucun doute à un certain niveau, à moins que l'infaillibilité des canonisations papales ne soit écartée du domaine de l'opinion théologique probable par une promulgation ex Cathedra ou une encyclique résolument rédigée consacrée à la question.

Au sujet des arguments actuels — et tout à fait éloquents compte tenu de la volonté du Pape Bergoglio de canoniser avec la plus grande hâte chaque Pape associé au Concile Vatican II, y compris le Pape Jean-Paul Ier ( qu'il a déjà déclaré Vénérable ) — nous avons une inteview de 2014, publiée par le site Inside the Vatican, avec Mgr Giuseppe Sciacca. Sciacca est un Canoniste renommé qui a été promu en 2016 au poste de Secrétaire de la Signature Apostolique par Bergoglio lui-même. Interrogé par l'interviewer : « Le Pape est-il infaillible quand il proclame un nouveau Saint ? » Mgr Sciacca a nuancé sa réponse :



« Selon la Doctrine dominante de l'Église, lorsque le Pape canonise un saint, son jugement est infaillible. Comme on le sait, la canonisation est le décret par lequel le Pape proclame solennellement que la gloire céleste brille sur le Bienheureux et étend le culte du nouveau saint à l'Église universelle d'une manière contraignante et définitive. Il n'y a donc aucun doute que la canonisation est un acte accompli par le Primat Pétrinien. En même temps, cependant, il ne devrait pas être considéré comme infaillible selon les critères d'infaillibilité énoncés dans la Constitution Dogmatique du Premier Concile du Vatican « Pastor aeternus ».

Lorsqu'on demande ensuite si « le Pape peut faire une erreur quand il proclame quelqu'un comme un saint », Mgr Sciacca a offert cette explication tout aussi nuancée :



« Ce n'est pas ce que j'ai dit. Je ne nie pas que le décret promulgué pour une cause de canonisation soit définitif alors il serait téméraire et même impie d'affirmer que le Pape peut faire une erreur. Ce que je dis, c'est que la proclamation de la sainteté d'une personne n'est pas une vérité de Foi parce qu'elle n'est pas une définition dogmatique et n'est pas directement ou explicitement liée à une vérité de Foi ou une vérité morale contenue dans la Révélation mais que c’est indirectement lié à cela. Ce n'est pas une coïncidence que ni le Code de Droit Canonique de 1917 ni celui actuellement en vigueur, ni le Catéchisme de l'Église Catholique ne présentent la Doctrine de l'Église concernant les canonisations ».

Interrogé sur l'opinion de Saint Thomas d’Aquin à ce sujet, Mgr Sciacca a averti que cela devait être considéré dans le contexte de la définition infaillible bien plus tardive de l'Église des limites strictes de l'infaillibilité papale :



« Bien sûr, j'en suis bien conscient. Thomas d'Aquin est l'auteur le plus prestigieux soutenant cette théorie. Mais il faut dire que l'utilisation du concept d'infaillibilité et du langage qui s'y rapporte, dans un contexte si éloigné de celui du XIXe siècle lors du Premier Concile du Vatican, risque d'être anachronique ».

« Saint Thomas d’Aquin a placé la canonisation à mi-chemin entre les choses qui appartiennent à la Foi et les jugements sur certains facteurs qui peuvent être contaminés par de faux témoignages, concluant que l'Église ne pouvait pas commettre d'erreurs : en fait, le fait de croire que ce jugement est infaillible, est saint ».

« Comme je l'ai déjà dit et je le répète, « Pastor aeternus » définit rigoureusement et restreint le concept d'infaillibilité pontificale qui pouvait auparavant englober et contenir ou être assimilé aux concepts d'« inerrance » et d’« indéfectibilité » par rapport à l'Église. La canonisation est comme une Doctrine qui ne peut être contestée mais qui ne peut être définie comme une Doctrine de la Foi à laquelle tous les fidèles doivent nécessairement y croire ». [ pauses de paragraphe ajouté ]

En d'autres termes, si une canonisation papale ne peut être contestée comme une erreur, s'interrogeant sur l'infaillibilité des canonisations, ou même s'y opposant selon la vision minoritaire, elle ne place pas quelqu'un hors de la communion de l'Église pour des raisons d'hérésie. En effet, Mgr Sciacca, Secrétaire du plus haut Tribunal Canonique de l'Église, rejette l'affirmation selon laquelle l'Église enseigne qu'il est hérétique de mettre en doute l'infaillibilité de la canonisation :



Et qu'en est-il des paroles que le Pape Benoît XIV, né Prospero Lambertini, a utilisées dans le « De servorum Dei beatificatione et beatorum canonizazione », sur la théorie de la non-infaillibilité qui « sentait l'hérésie » ?

« Sa théorie n'est pas contraignante car elle fait partie du travail qu'il a fait en tant que grand canoniste, mais dans le cadre de ses études privées. Cela n'a rien à voir avec son Magistère Pontifical ».

Mais il y avait un texte doctrinal publié par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi en mai 1998 qui mentionne également l'infaillibilité dans les canonisations.

« Il est manifestement clair que le but du passage en question est purement illustratif et n'est pas conçu comme une définition. L'argument récurrent selon lequel l'Église ne peut pas enseigner ou accepter des erreurs est intrinsèquement faible dans ce cas. Mais dire qu'un acte n'est pas infaillible ne veut pas dire que l'acte est faux ou trompeur. En effet, l'erreur peut avoir été faite rarement ou jamais. La canonisation, que tout le monde admet ne dérive pas directement de la Foi, n'est jamais une promulgation concrète de la Foi ou de la Tradition… »

Désolé, qu'est-ce que c'est exactement que la canonisation ?

« C'est la conclusion définitive et immuable d'un processus ; c'est le décret final émis à la fin d'un processus historique et canonique qui se rapporte à une question historique réelle. L'incorporer dans l'infaillibilité signifie étendre le concept d'infaillibilité lui-même bien au-delà des limites définies par le Premier Concile du Vatican».

Le lecteur remarquera que le Père Faber et l'Évêque Sciacca, étant donné l'état encore instable du Magistère, laissent place à une certaine incertitude sur l'infaillibilité des canonisations en tant que point de vue minoritaire — une vue qui constituerait au pire une erreur théologique, mais pas une hérésie, si l'Église ne devait jamais la réprouver formellement par le biais d'une définition dogmatique ( après quoi elle constituerait une hérésie ). Mais ils soutiennent également qu'il serait « téméraire et même impie » de déclarer qu'une canonisation est simplement erronée.

La confiance des Papes dans les enquêtes de pré-canonisation : une énigme

Alors, qu'est-ce qui se loge exactement dans la mince lacune entre la possibilité de mettre en doute l'infaillibilité des canonisations et l'inadmissibilité de contester des exemples particuliers en tant que gaffes pures et simples ? Cette zone d'incertitude semble découler de la nature même de la canonisation comme résultat d'une enquête préalable pour déterminer l'existence de faits historiques sur une personne particulière, sans laquelle la canonisation ne peut avoir lieu, par opposition à l'énonciation de formules doctrinales pour l'Église universelle.

Étant donné la dépendance des canonisations par rapport aux faits, on ne peut échapper à ce que Prudlo admet être une véritable « dilemne » avec laquelle les canonistes et les théologiens, y compris Saint Bonaventure et Saint Thomas d’Aquin, devaient se débattre au fur et à mesure que la papauté consolidait son autorité sur le processus de canonisation qui, pendant des siècles, avait été une affaire locale impliquant, dans quelques cas, des « saints » très douteux :



« En premier lieu dans leurs esprits il y avait la possibilité d'erreur à la suite d'un faux témoignage humain. Cela a constamment empêché les canonistes et certains théologiens d'attribuer l'infaillibilité papale à la canonisation comme un dogme de la Foi, surtout au XIIIe siècle. Le problème de la canonisation de personnages indignes a été soulevé à plusieurs reprises, ce qui a amené la papauté à instituer toutes sortes de garanties pour assurer la véracité et la sainteté, telles que de longues enquêtes sur la vie et les miracles. En plus de tout cela, la possibilité de la fragilité humaine est restée au premier plan des écrits théologiques. C'était l'argument central contre la Doctrine dans la période Médiévale. Comment les penseurs de l'Église ont surmonté ce dilemne est une clé centrale pour comprendre la création d’un consensus général. [10]

Mais quelle est la nécessité de « toutes sortes de garanties pour assurer la véracité et la sainteté », y compris « de longues enquêtes sur la vie et les miracles » si, comme Prudlo le soutient : « Ce n'est pas l'enquête, mais l'inspiration du Saint-Esprit qui certifie cette réalité pour nous » et « les Papes ne sont pas infaillibles à cause de la qualité des enquêtes qui précèdent la promulgation, ils sont infaillibles précisément à cause de l'acte qu'ils accomplissent dans le cadre liturgique de la canonisation » ?

De plus, la propre érudition de Prudlo tend à miner sa position contra de Mattei. Comme son étude le note, le Pape Innocent III ( 1198-1216 ) a déclaré dans sa bulle canonisant Homobonus de Crémone que « deux choses sont nécessaires pour celui qui est publiquement vénéré comme un Saint dans l'Église militante : le pouvoir des signes, à savoir les œuvres de piété dans la vie et le signe des miracles après la mort ». [11] Innocent III a également précisé que le précepte papal de la vénération universelle impliquée dans la canonisation doit être soutenu par plus que la simple conviction qu'un candidat a atteint la vision béatifique comme certains le soutiennent maintenant dans une défense minimaliste des canonisations de Jean-Paul II et Jean XXIII : « Bien qu'Innocent III affirme que seule la persévérance finale est absolument nécessaire pour que la sainteté soit simplement considérée, il soutient que la vénération publique d'une telle personne exige des témoignages divins. Les deux sont requis pour établir la sainteté, « car les œuvres ne sont pas suffisantes par elles-mêmes, ni les signes seuls ». [12]

Innocent III est précisément le Pape qui a « établi le modèle qui serait critique pour l'élucidation de la différence qualitative dans les canonisations papales qui se produiraient après sa mort », comme le montre Prudlo — c'est-à-dire leur infaillibilité — en « réorientant le processus de canonisation de la perspective papale ». Une partie de cette réorientation est «la nécessité de signes et de prodiges comme une condition préalable à la sainteté, ainsi que le témoignage d'une vie vécue selon les vertus ». [13] Est-il vraiment téméraire de suggérer qu'en l'absence de preuve de signes et de merveilles, il ne peut y avoir de véritable canonisation ?

Il semblerait donc que Prudlo lui-même ait démontré que, selon l'enseignement papal, une forme fiable d'enquête factuelle du candidat à la sainteté, confirmant à la fois les miracles et les vertus, est une condition préalable à la canonisation du Pape — c’est-à-dire l’imposition obligatoire d'un saint à toute l'Église. Bien que Prudlo conclue que le processus de la canonisation papale se soit développé, « les Papes croyaient clairement qu'ils exerçaient une infaillibilité personnelle dans leurs décrets de canonisation ». [14] Mais la question demeure : pour quels motifs ont-ils fondé cette croyance ? Sûrement, les enquêtes sur lesquelles ils se sont appuyés ont dû y être pour quelque chose.

Cela étant, comment la qualité de l'enquête de pré-canonisation ne peut-elle pas apparaître comme un problème ? Si la qualité de l'enquête n'était pas pertinente, l'enquête elle-même ne serait-elle pas sans pertinence ? Dans un tel cas, il ne nous resterait que la simple affirmation qu'une inspiration du Saint-Esprit garantit qu'aucune canonisation papale ne sera jamais dans l'erreur tant que le Pape récite la formule de canonisation « dans le cadre liturgique de la canonisation » ( pour reprendre l'argument de Prudlo contra de Mattei ). Mais ce genre d'infaillibilité devrait être distinct de la définition du Concile de Vatican I, qui est strictement limitée à la proclamation solennelle du Pape que ce que l'Église a toujours cru est de fide. Ainsi, une nouvelle définition de l'infaillibilité papale, englobant les canonisations d'individus particuliers basées sur des faits historiques, semblerait nécessaire pour mettre fin au débat légitime sur la question.

Conclusion : les quatre dubia

En attendant, je ne vois pas pourquoi les dubia spécifiques suivants — auxquels je n'ai bien sûr aucune compétence pour répondre — ne sont pas « sur la table » en ce qui concerne les canonisations :

  • La validité d'une canonisation, même si elle ne peut être qualifiée d'erreur en tant que telle, peut-elle être mise en doute s'il peut être démontré que l'enquête du candidat a été compromise par l’erreur humaine, la partialité ou le mensonge ?

  • Est-ce qu'un acte de canonisation papale par la récitation de la formule de canonisation pendant le rite de canonisation serait infaillible ex sese ( par et en soi-même ) même s'il n'y avait pas d'enquête préalable du candidat ?

  • Si l'acte de canonisation du Pape est infaillible ex sese, y a-t-il une nécessité pour le processus d'enquête précédant la canonisation —développée par les Papes eux-mêmes afin de fournir des garanties pour assurer la véracité des miracles et la sainteté d'un candidat ; et si c'est nécessaire, pourquoi est-ce nécessaire ?

  • Si un acte de canonisation papale n'est pas infaillible ex sese, alors l'intégrité du processus d'enquête qui le précède n'est pas essentielle à la revendication d'infaillibilité, et sinon, pourquoi pas ?

Ces questions ne peuvent être résolues que par le Magistère. Et le besoin de cette réponse est urgent. L'accélération de l'opération de la « Fabrique des Saints » et le geste clairement opportun de canoniser chaque Pape depuis le Concile Vatican II sur la base de preuves de plus en plus minces, en négligeant ou en oubliant complètement les causes des grands Papes Pré-Conciliaires reconnus pour leur vertu héroïque. La plénitude de miracles indéniables — par exemple, la cause du Bienheureux Pie IX — a provoqué une sorte de « crise des canonisations » dans l'esprit de millions de fidèles.

La réponse à la crise est-elle la Foi aveugle dans l'infaillibilité des canonisations, qui n'a jamais été définie comme un article de Foi ? Ou est-ce que les fidèles sont autorisés à soulever aujourd'hui, avec plus d'urgence que jamais, les sortes de questions qui ont été posées sans réponse définitive par le Magistère depuis le début du processus de canonisation papale ?

Cette série d’articles doit être comprise comme un appel à la clarté magistérielle par un simple profane qui, avec les Catholiques du monde entier, peine à comprendre comment l'infaillibilité des canonisations peut être conciliée avec un processus qui semble de plus en plus, comme le remarque si justement Prudlo, faire l'objet d'abus afin de « promouvoir des intérêts et des mouvements plutôt que d'être une reconnaissance et l'approbation d'un culte ».
Avec toutes ces préoccupations en vue, la partie II de cette série d’articles considérera le caractère problématique des miracles présumés attribués à Paul VI comme un excellent exemple de pourquoi il est raisonnable de considérer si l'intégrité du processus d'enquête affecte l'intégrité d'une canonisation, malgré toutes les tentatives précédentes pour résoudre ce problème.



NOTES ET RÉFÉRENCES

[1] Contrairement à la raillerie des commentateurs néo-Catholiques qui ne se sont pas préoccupés de recherches sérieuses, cette référence n'est pas « apocryphe ». Elle a été citée par Mgr Guido Pozzo, Secrétaire de la Commission Pontificale Ecclesia Dei, et est trouvée dans Paul VI, Insegnamenti, Ed. Vaticana, vol. X, 1972, p. 707.

[2] Anthony Faiola : « Alors que deux autres Papes sont canonisés, une question se pose : à quel point les Saints devraient-ils être miraculeux ? », Washington Post, 25 avril 2014 ; consulté le 17 février 2018 @ https ://www.washingtonpost.com.

[3] Voir, par exemple, Jason Gray, L'évolution du promoteur de la Foi dans les causes de béatification et de canonisation : étude de la loi de 1917 et 1983 ( Rome 2015, Pontificia Università Lateranense ).

[4] Donald S. Prudlo, « Les canonisations sont-elles basées sur l'infaillibilité papale ? », Crisis, 25 avril 2014 ; consulté le 19 février 2018 @ www.crisismagazine.com. emphases ajoutées.

[5] Pie IX, Constitution Apostolique Ineffabilis Deus (1854). Incroyablement, ce document papal monumental ne se trouve pas parmi les 76 documents de Pie IX archivés sur le site du Vatican.

[6] Donald S. Prudlo, Certain Sainthood, Canonisation et les origines de l'infaillibilité papale dans l'Église médiévale ( Ithaca : Cornell University Press, 2016), 141 ; citant Quodlibet, IX, q. 8 ; Resp. & Un d. 2 (Annexe ).

[7] Ibid. emphases ajoutées.

[8] FW Faber, Essai sur la béatification et la canonisation ( Londres : Richardson & Son, 1848) 127, 128 ) ajout de paragraphes.

[9] Prudlo, op. cit, 16.

[10] Ibid. 20-21. emphases ajouté.

[11] Dans Prudlo, 76.

[12] Prudlo, op. cit, 141.

[13] Ibid. Emphasis ajouté.

[14] Ibid., 191.





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